Jean-Charles Kohlhaas- conseiller régional et président de la commission Transports, Infrastructures et déplacements de la Région Rhône-Alpes
La saturation de la ligne Paris-Lyon, je n’en suis pas du tout certain à l’horizon 2025-2030…
Interventions de Jean-Charles Kohlaas
lors de la réunion du Débat Public le 1 décembre 2011 à Villefranche-sur-Saône (extraits du verbatim).
Je ne parle qu’en mon nom propre et celui de mon groupe qui est celui des élus écologistes à la Région Rhône-Alpes.
Je me pose un certain nombre de questions et les réponses que j’ai entendues en particulier de la SNCF et de RFF ne me satisfont pas complètement.
D’abord, sur la question de la saturation de la ligne LGV Paris-Lyon à 2025/2030, je pense qu’on ne peut pas aujourd’hui faire des prévisions sur les mêmes modèles du développement que nous avons eu depuis 50 ans, ou bien nous sommes complètement aveugles, mais vous êtes tous des citoyens touchés par les plans de rigueur dont on parle depuis quelques mois et depuis quelques années, nous savons tous l’endettement de l’État, nous savons l’endettement des Collectivités locales, nous savons tous quels sont les chiffres des croissance prévus par l’OCDE pour les années à venir des pays européens, donc nous ne sommes pas dans les Trente Glorieuses ni dans les années 1950 et le développement passé. La saturation de la ligne LGV Paris-Lyon, je n’en suis pas du tout certain à l’horizon 2025-2030 et les modèles qui ont servi pour dire que cette ligne allait être saturée ne sont pas ceux que nous devons prendre en charge pour avoir une idée de ce qui va se passer. Le fil de l’eau n’est plus du tout ce qui nous permet de faire des prévisions.
J’aimerais attirer votre attention sur le débat sur la vitesse. Le représentant de la SNCF a dit des choses qui ne me semblent pas tout à fait exactes: lorsque l’on dit que Lyon-Paris ou Lyon-Roanne ou Lyon-Mâcon, c’est tel temps de parcours, non c’est de gare à gare et il y a peu de gens qui se déplacent de gare à gare. Les gens n’habitent pas et ne travaillent pas en général dans les gares et donc, plus que de vitesse, on parle d’accessibilité en matière de transport et de déplacements. L’accessibilité est quelque chose d’extrêmement complexe, cela a été étudié depuis les années 1970, c’est étudié aussi par des universitaires, pas seulement par des ingénieurs qui travaillent sur des infrastructures. Je pense en particulier au Laboratoire d’Économie et des Transports de l’Université de Lyon 2, qui a montré que l’accessibilité repose sur beaucoup de choses: la fréquence par exemple, l’amplitude horaire. C’est bien d’avoir un TGV qui va mettre deux fois moins de temps pour faire Roanne-Lyon mais combien de fois va-t-il passer?
Si je rate le train, combien de temps vais-je attendre le suivant? Du coup, mon temps de parcours est rallongé d’autant. La fréquence est donc un élément essentiel du temps de parcours et de la régularité, mais aussi les services qui sont au bout. Tout cela se calcule et, jusqu’à preuve du contraire, aujourd’hui, en matière d’aménagement du territoire, le temps de parcours n’est pas l’élément essentiel, de nombreux autres facteurs entrent en compte et le TGV n’a jamais apporté des améliorations en matière d’aménagement du territoire.
On parle d’aménagement du territoire dans les liaisons Est-Ouest et dans les dessertes du Centre. S’il y a un arrêt toutes les 2 heures, toutes les 3 heures ou toutes les 4 heures, peut-on parler d’aménagement du territoire? Si on parle d’une échelle de temps à 2025/2030, est-ce qu’on peut dire que l’on parle d’aménagement du territoire alors qu’aujourd’hui, on parle du besoin quotidien de nos citoyens, qu’ils soient ceux de Rhône-Alpes ou ceux d’ailleurs. Aujourd’hui, les déplacements en TGV représentent environ 15% des déplacements en train, la majorité sont des déplacements au quotidien, des déplacements en TER. Les voyageurs des TER se plaignent tous les jours de temps de parcours qui sont rallongés, de retards, de manque de fiabilité et de dessertes qui vont diminuer parce qu’on va mettre de la grande vitesse plutôt que de la desserte de proximité.
Je voudrais vraiment insister sur ce point : sur une ligne Lyon-Paris, le gain en temps de parcours par rapport au nombre de voyageurs concernés entre Lyon et Paris-même est très intéressant. Sur une desserte d’aménagement du territoire, le nombre de villes moyennes qui devront obligatoirement rebrousser chemin en prenant un train ou une voiture pour aller rejoindre une gare TGV qui sera à quelques dizaines voire une cinquantaine de kilomètres pour gagner après du temps de parcours, fait que le temps de parcours global va être rallongé pour au moins autant de citoyens…
(Sur le financement par les Régions )
Cela fait quelques années que l’État s’est désengagé du réseau ferré national, que les Régions, les Collectivités locales financent l’infrastructure, alors que c’est une propriété de l’État et que c’est une compétence de l’État, sur déjà les lignes existantes. Il nous apparaît encore plus impossible, improbable que les Régions, avec le budget qu’elles ont, aillent sur les lignes LGV.
Je voudrais juste prendre un exemple pour parler de l’aménagement du territoire. Nous avions ce matin une réunion de la Commission Transports et nous avons longuement parlé avec la Direction Régionale de la SNCF et de RFF de ce que l’on appelle les lignes «malades» ou les lignes «sensibles», une douzaine en France, une quinzaine dit ma collègue Danielle Lebail : elle a raison.
L’une des plus «malades» de la Région Rhône-Alpes, c’est le «Y» Lyon-Grenoble et Lyon-Chambéry qui a un nœud, un point de jonction à Saint-André-le Gaz. A Saint-André-le-Gaz, cela fait 15 ans que tout le monde dit qu’un aménagement, un shunt, permettrait d’éviter le cisaillement et résoudrait une très grosse part de la saturation de cette ligne qui concerne des dizaines de milliers de voyageurs chaque jour. Cela fait plus de 10 ans que les travaux ne sont pas faits. Pourquoi ne sont-ils pas faits? Parce que nous attendons un autre projet qui arrivera peut-être en 2025 ou en 2030, dans 15 ou 20 ans, qui sera les accès français à un autre projet qui s’appelle «La nouvelle liaison ferroviaire Lyon-Turin.
Cela fait 10 ans, et encore pour 20 ans, que l’on repousse 100 millions d’euros de travaux pour améliorer le quotidien de dizaines de milliers de personnes parce qu’il y a un gros projet pour dans 20 ou 30 ans.
Sur le Lyon-Roanne, nous avons exactement la même problématique. Nous avons aujourd’hui des travaux à faire pour améliorer sérieusement le fonctionnement et surtout la fiabilité de cette ligne. Si ce projet POCL continue à être soumis au débat, les travaux sur le Lyon-Roanne ne seront jamais effectués et il faudra attendre la réalisation en 2025, en 2030 ou plus tard, du projet POCL pour que le quotidien des gens qui habitent le Grand Roanne et qui viennent dans le Grand Lyon, ou des gens qui habitent le Grand Lyon et qui vont dans le Grand Roanne soit amélioré et c’est vraiment dommage.
De la même façon, c’est un petit message à mes amis d’Altro, je crois qu’il y a une urgence à faire des liaisons Ouest-Est, c’est une véritable urgence, ils se battent pour cela depuis des années. Il est hors de question d’attendre 2025 ou 2030 et le projet POCL pour faire une vraie liaison Est-Ouest.
Aujourd’hui, des projets existent, il y a déjà des lignes existantes, certaines qui ont été partiellement rénovées et électrifiées. Il reste quelques 160 kilomètres d’électrification et de rénovation à faire à tel endroit, quelques dizaines de kilomètres à tel autre, et on pourrait le faire pour un coût 10 à 20 fois inférieur au projet de POCL, sur les lignes existantes toutes comprises. Vous aviez parlé de 1,5 milliard d’euros, c’est 10 fois moins.
Certes, cela ne répondrait pas aux 2 heures de parcours. Cela ne répondrait pas à certains objectifs mais ce n’était pas cela l’objectif. L’objectif c’est l’aménagement du territoire, les liaisons Est-Ouest qui sont inexistantes. Lyon ou l’Ouest de la région Rhône-Alpes jusqu’à l’Atlantique, quels que soient les nœuds de l’Atlantique, Nantes, Bordeaux et d’autres, n’existent plus du tout et ont été abandonnées, pour un coût dix fois moindre. Ils ont été quasiment abandonnés, Lyon-Nantes est une liaison que je connaissais bien. Pour un coût très inférieur, on ne pourrait pas certes gagner dix minutes par ci ou dix minutes par-là, mais on pourrait permettre d’avoir une vraie liaison. S’il était possible de faire Lyon-Nantes dans un temps de parcours correct sans passer par Paris, je pense que cela satisferait beaucoup de gens sur toute la ligne.
Pour conclure, il y a quand même une question d’argent public. Je veux bien que les budgets soient fermés entre RFF- TGV et RFF- infrastructures classiques. Une étude a été faite il y a quelques années, peut-être 5 ou 6 ans, par l’École Polytechnique de Lausanne qui disait qu’en France rien n’avait été fait sur l’infrastructure classique ou quasiment rien depuis 30 ans, qu’il y avait 15 milliards de retard de paiement pour simplement que la voie ferrée classique soit à niveau, qu’elle fonctionne correctement. On ne parle même pas de la régénérer et de la développer, ce que beaucoup de nos concitoyens souhaitent, par exemple entre Roanne et Lyon puisqu’il y a beaucoup de problèmes matériels entre Roanne et Lyon.
Je sais que l’État est endetté énormément, que RFF est une entreprise publique, qu’elle a aussi une dette de 29 milliards d’euros si je ne m’abuse et qu’il est question de faire reprendre ou non cette dette par l’État. Je me dis qu’on ne peut pas à la fois mettre 15 milliards d’euros, ou 10, ou 12 ou 14 dans ce TGV-là, qui n’est pas le seul ( Oserais-je rappeler que dans le SNIT, il y a plus de 200 milliards d’euros de projets d’infrastructures ?), et mettre de l’argent dans les lignes quotidiennes. Vous dites que RFF fait un gros effort de régénération: aujourd’hui, c’est 2 milliards d’euros par an qui sont prévus*, avec 15 milliards de retard, vous imaginez en combien d’années on va rattraper le retard…
*et non atteints en 2011 et 2012- La presse parle de 1 milliard par an.